Colette, Les Vrilles de la vigne, « Complicités », 1908
« Rêverie du Nouvel An », depuis « Toutes trois nous rentrons poudrées... » jusqu'à « ... les marches longues. »
Problématique :
Comment Colette partage-t-elle avec le lecteur le plaisir qu'elle éprouve lors d'une simple promenade avec ses chiens?
En quoi ce récit exprime-t-il une véritable osmose de l'auteur avec les bêtes?
Comment Colette célèbre-t-elle la nature, dans ce passage ?
1- L'annonce du retour à la maison (I. 1 à 4)
- Un moment ordinaire > le temps du présent « nous rentrons » l. 1, « j'ai », « fond » l. 2, « scintille » 1. 3> ce retour de promenade est, pour Colette, digne d'un grand intérêt : il met en avant son bonheur d'être avec ses chiens.
- Les personnages évoqués dans ce texte > le déterminant « toutes », l'adjectif numéral « trois », le pronom « nous » et l'énumération « moi, la petite bull et la bergère flamande » I. 1 rassemblent Colette et ses deux chiennes. Le pronom « nous » symbolise d'entrée la complicité qui les lie.
- Cette complicité se développe > emploi de l'adjectif possessif « nos » dans « nos robes » 1. 2 > les deux chiennes sont personnifiées.
- Le point commun aux trois personnages > « épaulettes blanches » pour Colette, « un sucre impalpable » pour Doucette et « scintille » pour la bergère flamande I. 2 et 3 > Elles sont toutes trois couvertes de neige, se ressemblent. Cette ressemblance marque le rapprochement affectif qui relie la maîtresse et ses chiennes.
2 - Le récit de la promenade effectuée à Paris sous la neige (I. 4 à 15)
- Un retour en arrière > le temps du passé « étions sorties » 1. 4 « avons couru », l. 5 > Une fois rentrée chez elle, Colette raconte sa promenade.
- Le centre d'intérêt de cette promenade est la neige > répétitions I. 4 « la neige / la vraie neige / le vrai froid » Il s'agit du plaisir de l'auteur qui célèbre, dans ce récit, la nature, bien qu'elle se trouve en ville.
-Des précisions sur le lieu et le moment > indice spatial « raretés parisiennes » et temporel « de fin d'année » 1. 5 > Colette est à Paris, en hiver. Les points de suspension soulignent l'opportunité dont elle a su profiter.
- Les rues de Paris > C.L. de la ville de Paris : « les fortifications », « l'avenue des Ternes », « boulevard Malesherbes » 1. 7 > Ces précisions confèrent une touche de réalisme à la narration.
- Ces lieux sont personnifiés > « les fortifications(...) ont vu « I. 6> L'écrivaine a l'habitude de personnifier la nature. Ici, la ville est aussi personnifiée, elle prend vie.
- Le bonheur de la promenade > connotations mélioratives dans la comparaison 1. 6 « comme trois folles » et dans l'animalisation I. 7 « notre joie haletante de chiens lâchés » Colette s'identifie à ses chiens et les personnages humain et animaux sont réunis par le même bonheur de marcher sous la neige.
- Une communion > la reprise du pronom « nous » accompagné de verbes d'action «nous nous sommes penchées » 1. 8, « nous avons contemplé » I. 9 personnifie les chiennes et les présente admirant, comme la narratrice, la ville de Paris enneigée. La légèreté qui sous-tend ce récit rend le lecteur complice de cette vision animalière.
- La beauté du paysage > C.L. des couleurs : « violâtre », « blancs », « noir », roses », « blanches » I. 9 à 10 > la nature se mêle à Paris. Colette procède par touches successives comme les peintres impressionnistes. Le lecteur peut s'imaginer le tableau grâce à ces notations qui finissent par associer plusieurs sensations.
- L'aspect de la neige est présenté par la métaphore I. 10 « un voile chenillé de mille et mille mouches blanches » elle permet de suggérer la consistance de l'atmosphère tandis que l'allitération en (m) insiste sur la douceur que crée la neige qui tombe.
- Par le C.L. du corps humain « lèvres », « yeux », « cils » joues » l. 11 et 12 la communion avec la nature est mise en avant. Les sensations tactiles sont suggérées.
- L'écrivaine nous fait voir, toucher mais aussi entendre la neige > Le bruit des pas est défini par la métaphore « un crissement caressant de taffetas » I. 13 et l'allitération en (k). (Harmonie imitative : les jeux sur les sonorités font penser aux sons réels.) L'auteur partage ses émotions avec son lecteur. Le registre est lyrique.
- Une véritable osmose entre la narratrice et ses compagnes > animalisation « nos dix pattes » l. 11 et « nous avons galopé, aboyé » l. 14 > Colette assimile son comportement à celui de ses chiennes, ce qui montre sa compréhension du monde animal. Elle joue avec ses chiens et à la manière de ses chiens. La connivence est totale.
- Sensation gustative > l. 14 « happé la neige », « goûté sa suavité de sorbet vanillé et poussiéreux » L'auteur aura fait référence aux quatre sens pour célébrer la neige qui tombe sur Paris. L'exaltation des sens lui permet de goûter pleinement la nature mais aussi de faire partager cette célébration au lecteur.
3 - L'évocation du repos à la maison (I. 15 à 18)
- Les points de suspension I. 15 font la transition entre le mouvement et le repos.
- La complicité > personnification I. 15 « nous nous taisons toutes trois »» Les deux chiennes semblent ressentir les sentiments de leur maîtresse et sont capables d'adopter une attitude identique. Rien ne différencie les animaux de leur maîtresse qui les place au même niveau qu'elle.
- Le repos d'après promenade > commun à la maîtresse et à ses chiens > Revient la 1ère personne du pluriel dans « nos veines » I. 16 et « nous allons glisser » I. 17 > le bien-être de la maîtresse est aussi celui des chiens.
Pistes pour une conclusion :
- Colette fait d'un moment ordinaire, banal, un moment extraordinaire. Ressort de cette promenade un pur moment de bonheur, embelli encore par la complicité avec les animaux.
- Véritable hymne aux bêtes que Colette aime et respecte profondément.
- L'écrivain traite ses animaux familiers comme des égaux et des complices et suggère qu'il existe entre elle et eux des liens profonds. Elle abolit la frontière entre les êtres.
- Colette, dans La Retraite sentimentale, écrit: « il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne. » On peut parler, chez Colette, de prose poétique.