Colette, Sido, « Le goût des détails », 1929
Problématique :
Comment Colette fait-elle le récit extraordinaire d'un souvenir ordinaire ?
1 - Le minutieux récit d'un pèlerinage (l.1 à 16)
- Récit au discours direct I.1 tiret + point d'interrogation > Colette raconte elle-même ce souvenir à la manière d'une scène de théâtre, au discours direct, ce qui rend cet épisode beaucoup plus présent et vivant pour le lecteur.
- Léo capte l'attention de sa sœur en la faisant attendre à l'aide de l'injonction « Minute ! » 1.2 et en retardant la révélation.
- Colette emploie l'adverbe « férocement » I. 2, dérivé par suffixation de l'adjectif féroce, issu du latin ferox, lui-même forgé sur l'adjectif ferus: sauvage, que l'on retrouve à la dernière ligne du texte.
- Le frère de Colette est, comme elle, un excellent conteur : il raconte au présent de narration « si j'ose », l. 2, « passons » I. 3, « je m'en vais » 1.4 à l'aide de phrases simples.
- Il exprime sa désapprobation envers le nouveau propriétaire par des termes à valeur péjorative, adjectif démonstratif « cette mare », « cette soupe », 1.3, qualificatif « infecte » ou bien par les substantifs « soupe » et « bouse ». Il montre son dégoût du lieu dont la visite l'a déçu.
- Léo retarde la révélation qu'il doit faire à sa sœur par la conjonction de coordination « et »l. 4 qui annonce une addition d'idée.
- Colette, impatiente de connaître la suite, l'interrompt et répète « Et ?... » à la forme interrogative, de façon à accélérer le récit.
- L'emploi du passé simple 1. 6 « tourna » permet la précision sur l'attitude de Léo « un sourire vindicatif ». Le lecteur participe à la scène.
- D'ailleurs, Léo exprime ses sentiments. L'emploi du pronom « je » cinq fois en trois lignes I. 7, 8, 9 « j'avoue » X 2, « je n'ai » X 2, «< j'attendais » souligne son implication, sa spontanéité mais aussi sa colère.
- Quant à la tournure indéfinie « une espèce de » l. 8, elle dévoile un point de vue subjectif : rien ne lui plaît plus de ce château qui a changé de propriétaire. Mais on ignore la raison de ce désarroi.
- Arrive alors une autre étape du récit : « le moment de la grille » entre guillemets. C'est ce à quoi veut en venir Léo.
- Colette, dont la curiosité est attisée par l'intonation que mettent en valeur les guillemets, reprend à la forme interrogative « Quel moment de la grille ? » I. 10.
- On peut affirmer que Léo se comporte comme un comédien avec des gestes I. 11 « Il claqua des doigts », information que l'on pourrait comparer à une didascalie dans une scène de théâtre.
- Ce dernier fait appel aux sensations visuelles «Voyons... tu vois » I. 12 > la répétition du verbe voir a pour objectif de raviver le souvenir de sa sœur et d'apporter des précisions. « le loquet de la grille ?» à la forme interrogative suscite l'attention de Colette et sollicite ses souvenirs.
- Cette attention est, effectivement, attirée puisque Colette reprend I. 13 le verbe voir « je le vis ». Les points de suspension permettent au lecteur d'imaginer aussi ce loquet qui est décrit dans l'énumération « de fer noir, poli et fondu ».
- La satisfaction du frère est exprimée à travers l'adverbe « Bon » I. 14 : il se sent compris, les souvenirs sont communs.
- D'ailleurs, il précise ces souvenirs « Depuis toujours... comme ça... alors... » I. 14.Il y a connivence entre le frère et la sœur et l'aspect théâtral du dialogue est accentué par l'emploi du verbe «mimait ».
- Cette connivence est à son comble puisque Colette termine la phrase avec Léo par l'onomatopée « l-î-î-an... » I. 16. qui veut rappeler le grincement de la grille dont ils se souviennent tous les deux. L'autrice complète le récit de son frère. Ce récit devient polyphonique. Il convient de noter l'étrangeté du chant détaché en quatre syllabes et rendu au discours direct avec des accents circonflexes sur les i. Ce moment célèbre le souvenir retrouvé et redevenu présent à leur conscience.
- L'emploi du pronom « nous » et le complément de manière « d'une seule voix » accentuent cette complicité teintée du comique de mot. Cette onomatopée n'est, en effet, pas sans rappeler le cri de l'âne, ce qui pourrait personnifier la grille, l'animaliser et, ainsi, expliquer l'attachement des protagonistes à ce bruit.
2 - La chute (l. 17 à 24)
- Il y a, ici, dramatisation de la scène. En effet, le rythme est marqué par des interruptions fréquentes visibles par les points de suspension I. 17 et 18.
- Le pronom « ils » est accusateur tandis que l'interrogative directe I. 18 construite familièrement avec uniquement le point d'interrogation qui modifie l'intonation accentue l'indignation de Léo. Ce pronom « ils » est repris dans une dernière réplique de Léo 1. 20: « Ils ont huilé la grille ». La brièveté de cette phrase traduit la déception cruelle vécue par le frère au terme de son pèlerinage; déception encore accentuée par l'adverbe « froidement ». C'est - l'implicite qui fait fonction de chute si la grille a été huilée, alors elle ne grince plus. Ce qui bouleverse Léo est donc la disparition du bruit de la grille, bruit qui lui était familier dans son enfance. Voilà la révélation tant attendue par sa sœur dans ce récit à retardements: un fait anodin, en réalité, mais qui prend une tournure dramatique pour Léo.
-Le récit reprend après ce dialogue. Les verbes d'action 21 et 22, au passé simple « partit », « recroisa », « s'en alla » peignent Léo dépité.
-La métaphore utilisée par Colette compare son frère à une sorte de grand insecte : « les membranes humides de son vêtement » I. 21. L'écrivaine donne ainsi une idée de son aspect physique mais suggère surtout son étrangeté profonde d' « enfant sauvage » I. 24 qui ne comprend pas le monde moderne et fonctionnel.
-Enfin, le groupe nominal au superlatif « la plus délicate offrande » L. 23 et l'expansion dernière « dédiée au seul enfant sauvage qui en fût digne » insiste par la relative au subjonctif imparfait sur le caractère exceptionnel de Léo. Le terme « offrande » se rapporte aussi au domaine religieux, conférant un caractère sacré au grincement de la grille.
Pistes pour une conclusion :
Colette écrit dans le Fanal bleu : « Choisir, noter ce qui fut marquant, garder l'insolite, éliminer le banal, ce n'est pas mon affaire, puisque, la plupart du temps, c'est l'ordinaire qui me pique et me vivifie. »