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Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, 1772



Problématique :


Comment Diderot met-il en valeur une réflexion sur la colonisation ?

1 - L'auteur présente l'adresse véhémente d'un vieux Tahitien à Bougainville : le vieillard met en avant les qualités de la culture tahitienne et critique les Européens (I. 1 à 10)

- L'extrait se présente comme un discours adressé directement à Bougainville > apostrophe « Et toi, chef des brigands... » I. 1 Utilisation du discours direct. Tonalité qui dévoile la colère, un emportement par la violence des propos, avec une périphrase péjorative au tout début de son discours.
- Désignation des conquérants > phrase négative ligne 1 « chef des brigands qui t'obéissent », image dévalorisante des Européens perçus comme une troupe de voyous qui suivent les ordres et comme un équipage malfaisant. Cette image sous-entend des actes condamnables, hors-la-loi comme violer et tuer.
- Tutoiement tout au long du texte I. 1, 2, 3... « Toi », « tu», mais alternance de l'énonciation: « nous, nos, toi, vous, le tien ». Une opposition entre les deux cultures transparaît.
- Défenseur de son peuple, le vieillard met en avant les valeurs essentielles de sa société. L'innocence naturelle qui entraîne le bonheur > le parallélisme 1. 2 « nous sommes innocents, nous sommes heureux » appuie ce fait. Le lien de cause à effet manque dans ce parallélisme.
- Le bonheur est associé au possessif « notre » 1.3, preuve d'un bien précieux. L'innocence est à rattacher à la notion de nature, « pur instinct de la nature » 1. 3. > le caractère de ce pur instinct est la notion de copropriété : « Ici tout est à tous ; »1.4 : brièveté de la phrase, formule sobre, claire et frappante.
- Le philosophe dénonce certains méfaits de la civilisation et de la colonisation. Comme l'a relevé Rousseau, c'est la notion de propriété qui semble entraîner injustice et immoralité de la part des Européens > mise en évidence des pronoms possessifs, typographie en italique « du tien » et « du mien » I. 4. Cette mise en avant des possessifs dévoile l'opposition des conceptions des Européens et des Tahitiens.
- Une impression de sauvagerie > Champ lexical de la violence 1. 6 à 7: « haïr », « égorger », « teintes de votre sang», « fureur », « féroce ». Celui-ci est donné pour dévoiler la manière dont les Européens ont perverti les mœurs différentes, certes, mais qui fonctionnaient bien dans cette société tahitienne.
- A l'inverse, la notion de liberté du peuple tahitien ressort. Les phrases sont affirmatives et revendicatrices, par exemple I. 8 « Nous sommes libres... » Un état naturel et inaliénable ressort de l'emploi de l'auxiliaire être verbe d'état.
- Négation des conquérants et de leur caractère supérieur par la répétition de la négation « ni », « ni un dieu, ni un démon »l. 9. Les Européens s'accordent une bien trop grande puissance qui n'est pourtant pas acquise.
- Nombreuses interrogations et exclamations qui sont de véritables accusations de ces conquérants sûrs de leurs forces et de leur supériorité. Cependant il est montré que la force ne légitime rien: « Qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? » 1. 9

2 - Puis, le Tahitien s'adresse à Orou: il dénonce la prise de possession de la terre tahitienne (1. 9 à 22)

- Il interpelle « Orou ! » I. 9 > Orou est l'interprète de Bougainville
- Diderot inverse la situation > caractères italiques I. 11 « Ce pays est à nous » : « Ce pays appartient aux habitants de Tahiti ». L'anaphore et la typographie italique soulignent le vocabulaire de la possession. Le vieillard émet l'hypothèse d'une colonisation par les Tahitiens.
- Le vieillard s'indigne > I. 11 « Ce pays est à toi ! Pourquoi ? (...) Qu'en penserais-tu ? Tu es le plus fort ! ». Interpellation, interrogatives, exclamative expriment la colère du personnage et impliquent des réponses négatives. Diderot dénonce le scandale de la colonisation.
- Un sujet cher aux philosophes des Lumières est délivré dans cet extrait : l'esclavage avec son champ lexical: »esclave » I. 16, « asservir »,« t'emparer» l. 17, « brute »
- Une démonstration logique en trois temps est donnée : Tout d'abord la négation: « tu n'es pas esclave »l. 16. Puis la supposition: « tu souffrirais la mort plutôt que de l'être » I. 16. Et enfin la fausse logique des Européens > caractère absurde de leurs actes et comportements: « tu veux nous asservir ! » I. 16. Ridicule de cette logique des Européens à travers la coordination « et » et le point d'exclamation. Ce raisonnement montre que les Européens sont incapables d'accepter pour eux ce qu'ils font subir aux autres. Cohérence avec le raisonnement du vieillard qui s'oppose à l'incohérence dans le comportement des Européens. La suite de questions des cinq dernières lignes laisse place à une argumentation originale. En effet, le vieillard demande à Bougainville d'imaginer la situation inverse : « tu es venu; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? Avons-nous pillé ton vaisseau ? T'avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ?... ». De toute évidence, l'Européen n'accepterait pas ce qu'il fait subir au Tahitien.
- La tolérance. Respect et acceptation de l'autre, I.18 > « Le Tahitien est ton frère. Vous êtes deux enfants de la nature... » I.. Ce sont des images qui mettent l'accent sur l'égalité entre les hommes: vocabulaire de la famille. Générosité et fraternité. Notion d'humanité : une communauté d êtres humains différents mais égaux.
Suite de questions oratoires I. 18 à 20. Chaque question renvoie à ce que les Européens colonisateurs ont fait subir aux autochtones et que ceux-ci n'ont pas fait subir aux Européens : « nous avons respecté notre image en toi ». Notion de respect très importante qui vient clore l'extrait.
- Barbarie associée aux Européens. Champ lexical de la violence I. 19-20: « jetés », « pillés », « exposés aux flèches ». Images frappantes des « animaux ». Aucune tolérance, les Européens se sont présentés en conquérants et ont nié l'humanité des Tahitiens.
- Impératif : « Laisse-nous nos mœurs » et superlatifs « plus sages et honnêtes » montrent que leur civilisation n'a rien à envier à celle des Européens. Notion de troc négative dans la dernière phrase. Échanges non souhaités par l'opposition de « notre ignorance » et « tes inutiles lumières», 1.22. Les Tahitiens ne veulent pas d'une culture étrangère.

Pistes pour une conclusion:

- Diderot propose une réflexion sur la colonisation.
- Il met en avant des valeurs universelles: liberté et tolérance. Ces valeurs sont prônées dans le discours d'un vieux Tahitien.
- L'écrivain utilise l'argumentation indirecte pour interpeller ses contemporains sur les méfaits de la colonisation.
- Nous retrouvons dans cet extrait les idéaux des Lumières.
- Diderot, Montesquieu ou Voltaire nous prouvent que les écrivains - et les artistes, en général ont aussi pour fonction de dénoncer les injustices.