Marivaux, Le jeu de l'amour et du hasard, 1730 (II, 9, Silvia et Dorante)
Éléments pour une introduction :
Dans cette comédie en trois actes, Silvia et Dorante, deux jeunes nobles promis l'un à l'autre, se déguisent en domestiques pour mieux observer leur futur conjoint. Ce stratagème permet un double jeu verbal où les paroles prennent un sens caché, ce que l'on appelle le marivaudage. Dans cette scène, Silvia, confuse, lutte pour cacher ses sentiments naissants face à Dorante, qui joue le rôle du valet Bourguignon. Le dialogue met en lumière la difficulté de Silvia à maîtriser ses émotions et la subtilité du langage amoureux déguisé.
Problématique :
En quoi cette scène révèle-t-elle la difficulté de Silvia à masquer ses sentiments ?
1 - Une familiarité sous-jacente malgré les apparences (l. 1 à 11)
- Dialogue entre domestiques : le tutoiement (« tu », « te », l. 2-3) correspond à leur rôle de serviteurs et traduit une proximité familière.
- Silvia tente d’interrompre ce tutoiement en imposant l’impératif négatif « ne nous tutoyons plus » (l. 4), marquant sa volonté de garder le contrôle sur ses émotions.
- Malgré elle, elle exprime un aveu de faiblesse en s’excusant (« je t’en prie », l. 4) et reconnaît que le tutoiement lui a échappé (l. 8), révélant son trouble.
- Le langage simple et naturel de Dorante (phrases courtes, expressions orales, l. 5, 7) souligne son authenticité et son attention aux réactions de Silvia.
- Dorante annonce son départ imminent, soulignant l’absence de liberté dans son rôle de valet, et cherche à provoquer une réaction chez Silvia (l. 9-10).
2 - Silvia, personnage tourmenté (l. 12 à la fin)
- La question immédiate de Silvia (« Est-ce que ton maître s’en va ? », l. 12) trahit spontanément son inquiétude.
- Elle masque son désarroi par un ton dur et un conditionnel négatif (« il n’y aurait pas grande perte », l. 12), qui révèle sa souffrance.
- Dorante, cherchant à confirmer son indifférence, exprime son découragement (« Ni à moi non plus », l. 14).
- Silvia relance le dialogue avec un conditionnel ambivalent (« Je l’achèverais bien moi-même », l. 16) puis se rétracte aussitôt (« mais je ne songe pas à toi », l. 17), balançant entre raison et sentiments.
- Dorante répond par une litote (« je ne te perds point de vue », l. 18), soulignant le demi-aveu de Silvia.
- Le rythme saccadé et les contradictions dans le discours de Silvia (l. 19-24), marqué par l’opposition des antonymes et des sentiments (« je ne te hais ni ne t’aime »), reflètent son trouble et son combat intérieur.
- Silvia affirme un refus apparent d’aimer Dorante (« ni ne t’aimerai », l. 22), tentant de préserver les normes sociales et son rang.
- La déclaration d’amour de Dorante, emplie d’hyperboles (« malheur », « inconcevable », l. 25), souligne son désespoir et la portée tragique de ce jeu de la parole.
3 - Le soliloque de Silvia : un conflit intérieur exacerbé (l. 27 à la fin)
- Silvia prend conscience de l’amour de Dorante à travers une exclamation surprise (« Quelle fantaisie... », l. 27).
- Son discours vif et saccadé (l. 28-29) témoigne de ses pensées confuses et de la culpabilité qui l’habite.
- L’alternance des pronoms personnels (« toi », « je », « me », « te », l. 28) traduit la contradiction intérieure.
- L’usage du conditionnel (« si tu étais instruit... », l. 30) souligne sa tentative de se justifier et de cacher cet amour inacceptable socialement.
- Silvia énumère ses qualités (« cœur », « générosité », l. 31) pour expliquer sa faiblesse.
- Le lexique de l’opposition et de la raison (« pourtant », « mais », l. 32, 34) montre son dilemme entre sentiment et devoir.
- L’éducation et les contraintes sociales pèsent lourdement sur elle (« cela ne ressemblerait plus à rien », l. 37).
- Elle se reprend avec des injonctions à elle-même (« finissons », l. 38) et un subjonctif (« qu’il n’en soit plus parlé », l. 40), signe d’un effort difficile pour refouler ses émotions.
Pistes pour une conclusion :
- Cette scène met en lumière la confusion de Silvia, dont les vérités émergent à travers le masque du déguisement.
- Une familiarité profonde transparaît malgré les rôles sociaux imposés.
- Le texte illustre la difficulté de concilier amour et contraintes sociales, et interroge sur la possibilité d’un amour sincère au-delà des classes.
- Marivaux donne ainsi ses lettres de noblesse au marivaudage, ce jeu subtil de la parole et des sentiments.