Explication linéaire
Musset, On ne badine pas avec l'amour, 1734
(le dénouement, III, 8, l. 491 à la fin)
Problématique :
Comment la scène confère-t-elle une conclusion particulièrement tragique au proverbe ?
Ou bien : En quoi ce dénouement révèle-t-il la dimension tragique du badinage amoureux ?
(1 à 20) L'aveu de l'amour réciproque
Le lyrisme de Perdican : deux constructions simples I. 1 « Insensés que nous sommes ! nous nous aimons. » — réplique débarrassée de toute rhétorique. Il reconnaît les erreurs commises et l'amour partagé.
Le rapprochement des deux amants : pronom 1ère personne du pluriel « nous » (x7 de l. 1 à 5) et apostrophe à « Camille » — Perdican inclut Camille dans cet amour et dans la perte de cet amour.
Un lyrisme teinté de tristesse : plainte élégiaque, thème traditionnel exprimant le regret face au bonheur perdu — nombreuses interrogatives (x3 lignes 2 à 4), interjection « Hélas ! », et 2 exclamatives l. 4 et 5 — Perdican laisse libre cours à ses émotions avec exaltation.
Son adresse à Dieu : l. 5 « Ô mon Dieu » + tutoiement l. 7 « Tu nous l'avais donné (...) tu l'avais tiré... » + anaphore renforçant la culpabilité des amants (noter l'opposition « nous » / « tu »). Perdican change d'avis, associant ici l'amour humain à l'amour divin.
Deux métaphores filées oniriques : donnent une tonalité merveilleuse à leur amour. La première associe éléments du cosmos : « un vent funeste » (l. 3), « cet océan » (l. 6), « pêcheur céleste » (l. 7), « profondeurs de l'abîme » (l. 8) — tableau métaphorique des errances des personnages.
La deuxième convoque la douceur de la nature (l. 10) : « le vert sentier », « une pente si douce », « buissons si fleuris », « si tranquille horizon » — images du locus amoenus (lieu idyllique).
Les défauts humains : énumération de termes péjoratifs (l. 10-11) : « la vanité, le bavardage et la colère » ont empêché l'accès à ce bonheur divin. Perdican prend conscience de la responsabilité des jeunes amants.
La condition tragique des amants
l. 25 « car nous sommes des hommes » — humilité de Perdican, reconnaissance de la faiblesse humaine qui détruit par sa désinvolture les dons de Dieu. S'ils sont coupables, c'est parce qu'ils appartiennent à l'humanité. Le bonheur qu'ils entrevoient conduit donc à une reconnaissance partielle de leurs erreurs.
Gradation du lyrisme : reprise du participe passé « insensés » + emploi de l'interjection « Ô » (l. 16) — Perdican est de plus en plus bouleversé. La tirade est encadrée par deux exclamations symétriques et la reprise de « nous nous aimons ».
Gestes de Perdican : la didascalie « Il la prend dans ses bras » appuie les paroles échangées — réunion des amants par les mots et gestes d'affection.
Camille accepte ses sentiments : l'adverbe d'affirmation « Oui » (l. 17) ouvre le duo amoureux. La reprise par Camille de la phrase « nous nous aimons » est signe d'accord accompli.
Une parole libérée de tout obstacle : lexique de l'amour (« sentir », « ton cœur », « j'aime » l. 17-19) représente la parole de l'amour sincère.
Dieu témoin : démonstratif « Ce Dieu » (l. 18) — Dieu sacralise et scelle cette union. Camille associe amour humain et amour divin, alors qu'elle les opposait auparavant.
Confirmation de Perdican : exclamative l. 20 « Chère créature, tu es à moi ! » — « créature » renvoie à l'espèce humaine créée par Dieu, la didascalie « Il l'embrasse » renforce les paroles.
(20 à 31) Une intensité dramatique qui va crescendo
Le basculement dans l'horreur : didascalie « on entend un cri derrière l'autel » — Rosette, oubliée et invisible, s'impose soudain, mettant fin au duo amoureux. Le spectateur découvre sa présence en même temps que les personnages.
Des réactions opposées :
— Perdican (l. 22) « Je l'avais laissée dans l'escalier » révèle légèreté, inconstance et cruauté.
— Camille (l. 25) emploie un impératif « Entrons dans cette galerie » : elle propose d'affronter la situation.
Perdican conscient du tragique : l. 26 « il me semble que mes mains sont couvertes de sang » ; Camille garde une forme d'espoir. L'adverbe « encore » (l. 28) signale répétition possible, modalisateur hypothétique « sans doute » écarte la gravité.
Signaux tragiques : passage saturé : « mes mains sont couvertes de sang » (l. 27), « je sens un froid mortel qui me paralyse » (l. 30), « tout cela est cruel » (l. 28) — montée de tension dramatique.
Perdican se représente comme à l'origine du crime, sent la mort s'emparer de lui. La séparation définitive entre Camille et Perdican est une mort symbolique.